Le budget de la Rue de Valois se voit amputé de 204,3 millions d’euros, 70 % de l’effort demandé devrait être pris dans la réserve de précaution.
C’était le 27 septembre 2023. Tout sourire, Rima Abdul Malak annonçait un budget de la culture (hors audiovisuel public) en hausse de 6 % pour 2024. Soit 241 millions d’euros supplémentaires et la promesse d’un « budget de transformation, d’inspiration » voué à accompagner « les mutations de la culture ». Cinq mois plus tard, les ministres ont changé, Bercy cherche des économies pour pallier une croissance plus faible que prévu, et, in fine, le budget de la Rue de Valois subit un coup de rabot de 204,3 millions d’euros.
Cette annulation surprise de crédits, prise par décret, touche en priorité les programmes patrimoine (99,5 millions) et création (96 millions). Le Pass culture (251 millions d’euros) est, lui, totalement épargné, ainsi que les écoles d’art, qui, en 2023, avaient tiré la sonnette d’alarme devant l’explosion des surcoûts liés à l’inflation.
Face à cette décision imposée par Matignon et le ministère de l’économie, très mal vécue sur le terrain, la nouvelle ministre de la culture, Rachida Dati, a choisi d’utiliser tous les outils budgétaires existants pour tenter de limiter l’impact des coupes budgétaires et d’un mécontentement grandissant.
Economies réclamées par Bercy
La Rue de Valois devrait ainsi puiser largement dans la réserve de précaution dont dispose chaque ministère pour faire face à l’« imprévu ». Concrètement, 139 millions (soit 70 % de l’effort demandé) devraient être pris sur les crédits mis en réserve. A cela s’ajouteraient des décrets de virement pour mettre à contribution la réserve de précaution des programmes non concernés jusqu’alors par les économies réclamées par Bercy – notamment « livres, industrie culturelle » et « presse et médias » – et ainsi équilibrer les efforts. Sous réserve que le ministère de l’économie valide ces choix, il resterait 28 millions d’économies à trouver pour le secteur de la création.
Reconnaissant la fragilité du service public du spectacle vivant, liée à l’inflation et au désengagement de certaines collectivités territoriales, et jugeant « très légitimes » les inquiétudes des professionnels, le ministère promet que « pas un euro ne sera pris sur les crédits des réseaux et labels du spectacle vivant en région ». Les 28 millions d’économies concerneront les opérateurs jugés les plus solides, notamment l’Opéra de Paris et la Comédie-Française. Quant au plan « mieux produire, mieux diffuser », il devrait être intégralement préservé.
Côté patrimoine, la réserve de précaution serait aussi utilisée au maximum. Pour l’heure, aucun chiffre précis n’est avancé sur le montant restant des annulations de crédits. Pour ce secteur, l’approche devrait être « homothétique ». Comprendre : chaque opérateur contribuera à proportion de sa place dans le budget. Quelques présidents d’établissements publics vont devoir ajuster leur trésorerie. Les plus gros d’entre eux verront leurs subventions réduites d’environ trois millions d’euros chacun. Contactés par le Monde, ni le Louvre ni le Musée d’Orsay n’ont reçu pour le moment de signaux négatifs.
En revanche, il ne devrait y avoir aucune annulation de programmes de restauration, dont plusieurs sont en cours, comme celui de la cathédrale de Nantes, à la suite de l’incendie survenu en 2020, et les travaux de l’abbaye de Clairvaux (Aube). Idem pour la création du Musée-mémorial du terrorisme, qui prévoit une enveloppe de 13 millions d’euros cette année, et de l’extension du site des Archives nationales, à Pierrefitte-sur-Seine (Val-d’Oise).
Service public sur la sellette
Ces acrobaties budgétaires suffiront-elles à rassurer les professionnels « sonnés » lors de la publication du décret d’annulations de crédits ? « Ce fut un très mauvais signal, confie Stéphane Bern, chargé de la mission de préservation du patrimoine. D’un côté, on dit qu’on va sauver des églises, on me demande de trouver 30 millions d’euros par an avec le Loto du patrimoine, et, de l’autre, on fait des coupes sombres dans un secteur déjà sous-financé. »
Même le ministère de la culture semble avoir été pris de court par les choix de Bercy. Le 21 février, deux jours seulement avant la sortie du décret, les responsables du Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac) étaient reçus par le directeur de cabinet de la ministre pour faire le point sur les problèmes financiers de l’écosystème du spectacle vivant. « Notre constat n’a pas été remis en cause, on pensait naïvement que les négociations allaient pouvoir s’engager », témoigne Nicolas Dubourg, président du syndicat. Et ce fut la douche froide. Avec une baisse de 10 % du programme création. « On a été sidéré, on n’a rien vu venir », témoigne Vincent Roche-Lecca, vice-président du Syndicat national des scènes publiques (SNSP).
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