La rue de Valois ne tient pas le premier rôle en matière de dépenses culturelles. Les communes dépensent davantage avec la création de nouveaux événements et la formation de nouvelles élites locales, estime le sociologue dans une tribune au « Monde ».
Tribune. Si l’on aime encore en France se référer au ministère de la culture pour penser les politiques culturelles, il faut d’abord rétablir le fait qu’en termes budgétaires, ce sont bien les communes qui en sont les acteurs majeurs. Leurs dépenses sont évaluées à près de 9 milliards d’euros quand celles du ministère se situent autour de 6 milliards d’euros.
La tendance serait à la baisse, mais quiconque affirmerait pouvoir indiquer le chiffre exact des dépenses culturelles en France prendrait un bien grand risque. D’une part, parce que les dépenses culturelles dans les ministères et les collectivités territoriales sont le fait de nombreux services : culture, patrimoine, mais également, jeunesse, loisirs, tourisme, parfois les sports et aujourd’hui le numérique.
D’autre part, parce que la définition de la culture varie énormément à l’intérieur même des politiques publiques. Entre les définitions artistiques élitistes et celles, récentes, qui puisent plutôt du côté des loisirs ou des droits culturels, le gouffre est immense et brouille toutes les statistiques. La baisse de dépenses des communes serait donc toute relative, à différencier aussi entre investissements et dépenses de fonctionnement pour lesquelles l’Observatoire des politiques culturelles note en 2017 que 71 % des villes de plus de 100 000 habitants les augmentent et 21 % les réduisent. Plus que d’une baisse, il faudrait plutôt parler d’une stabilisation et d’une réorientation des budgets vers de nouvelles priorités. Encore faudrait-il distinguer la situation d’offre surabondante et de doublons de la région parisienne, de ce que Françoise Nyssen appelait les « zones blanches culturelles » en milieu rural, de celle enfin, des grandes métropoles régionales.
La "festivalisation" de la culture
Pour ces dernières et pour les maires qui se sont emparés de la culture « est surtout bon ce qui se voit ». Ce point permet de comprendre en partie l’accroissement actuel des politiques évènementielles. Tendance qui n’a cessé de croître depuis vingt ans, d’abord avec la « festivalisation » de la culture : chaque ville voulant son festival qui la distingue. Tendance qui se poursuit aujourd’hui avec la construction d’équipements pensés comme des mises en scène urbaines spectaculaires (Lyon, Marseille, Saint-Etienne, Bordeaux) ou la multiplication des manifestations dans l’espace public (Nantes, Lille, Dunkerque).
Cette politique événementielle s’accompagne le plus souvent d’un discours sur l’attractivité du territoire et le développement touristique. Le rayonnement culturel nourrit l’image dynamique des villes pour attirer des populations à fort pouvoir d’achat et des entreprises. Cette instrumentalisation de la culture à des fins de développement territorial, pensée pour les populations locales comme un « moteur d’identité », est également utile comme amplificateur de l’action des élus.
Des demandes culturelles diversifiées
Il ne faudrait pas néanmoins réduire cette « spectacularisation culturelle » à un simple enjeu électoraliste. D’abord, parce que ces politiques culturelles participent bien depuis vingt ans du réaménagement de nombreux quartiers des villes de France comme à Nantes ou Lyon. De plus, parce que si cette politique permet en période électorale de valoriser un bilan, elle procède aussi de la volonté de certains élus de sortir d’une offre classique jugée de plus en plus inadaptée.
En effet, si depuis les années 1970, les villes se sont progressivement équipées et proposent une offre culturelle standard (théâtre, musée, bibliothèque), cette offre ne touche pas l’ensemble des populations. Malgré les efforts de la « démocratisation culturelle » depuis 1959, les enquêtes montrent chaque fois que les théâtres et musées sont toujours fréquentés par les mêmes milieux sociaux plutôt « aisés ». Pour les élus, la politique évènementielle vise aussi à la prise en compte de demandes culturelles diversifiées. Et à permettre de sortir à moindres frais d’une situation de saturation et d’essoufflement, pour des villes qui n’ont plus les moyens d’investir dans de nouveaux équipements.
Cette perspective évènementielle n’est pas sans provoquer de malaise parmi les professionnels de la culture. Leur hégémonie de prescripteurs et gestionnaires des équipements est remise en cause. Lorsque les budgets sont réorientés vers des projets plus grand public, certains professionnels dénoncent pêle-mêle une politique tape-à-l’œil, l’abandon de l’action artistique et de l’accompagnement. La situation est d’autant plus problématique pour eux, que d’un autre côté, ils se...
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