Un décret autorise la diffusion à la télé de pubs concernant le secteur de l’édition sous couvert de relancer la lecture et renflouer les caisses de l’audiovisuel. Pour le chercheur David Piovesan, c’est une absurdité qui accélérera la «best-sellerisation» de l’offre littéraire.
Par le décret du 6 avril 2024, il a été décidé que les chaînes de télévision pourront désormais diffuser des messages publicitaires concernant le secteur de l’édition littéraire. Depuis un texte de 1992, cela était en effet interdit. Serpent de mer des réformes de l’audiovisuel, cette disposition était sanctuarisée sans qu’aucun ministre n’ose revenir dessus. C’est chose faite avec ce décret. L’objectif de cette ouverture à la publicité consiste à compenser la diminution tendancielle des recettes publicitaires qui se déportent structurellement vers le numérique, «consolider le modèle économique» de l’audiovisuel et «réduire l’asymétrie» avec le numérique, selon l’avis de l’Arcom (mars 2024). L’origine de ce décret n’est donc pas le livre, mais l’affaiblissement de la télévision. Néanmoins, certaines conséquences fâcheuses pour le livre sont à prévoir.
La publicité à la télévision va encore accélérer la best-sellerisation dont souffre déjà l’économie du livre. Toutes les politiques publiques depuis 1981 ont cherché à préserver une dynamique de création riche et diversifiée, par un réseau dense d’éditeurs et de libraires indépendants. L’édifice français du livre a ainsi placé la diversité en son cœur pour tenter de compenser d’une part les imperfections du marché, et d’autre part la concentration des ventes sur les best-sellers. Ceux-ci ont en effet tendance à s’approprier l’attention au détriment de titres moins connus ou d’éditeurs plus exigeants.
Entre aberration et cécité absolue
Les mécanismes de la publicité sont quant à eux bien connus. Penser que des livres non commerciaux, qui nécessitent d’être davantage accompagnés auprès des lecteurs, pourront tirer profit de la publicité est une aberration. C’est même d’une cécité absolue devant la logique dominante de l’économie de marché. Depuis l’Ecole de Francfort, nous savons que la publicité est fille du libéralisme, qu’elle n’informe pas, mais relève plutôt d’un discours idéologique, d’une logique financière et d’un rapport de pouvoir. Faire de la publicité, c’est imposer certains contenus au détriment d’autres. Les logiques publicitaires sont si fortes que les éditeurs moins connus seront invisibilisés sur ce média.
Des centaines de travaux de chercheurs en économie de la culture le montrent déjà abondamment. On sait que les réseaux sociaux constituent un espace où les algorithmes de recommandation favorisent les contenus mainstream, et dans lequel les éditeurs et les auteurs moins connus luttent pour se rendre visibles. On sait aussi que dans l’économie d’abondance de biens culturels qui caractérise désormais notre société, la découvrabilité des contenus culturels (et donc du livre) est devenue un enjeu majeur. Cette richesse d’éditeurs, d’auteurs et de libraires est certes le signe de la vitalité de la création littéraire, mais cette richesse est plus que fragile. La publicité à la télévision ne favorisera pas cette bibliodiversité, bien au contraire. Preuve en est, le premier ouvrage qui fera l’objet d’une telle publicité à la télévision est un best-seller, dans les tops ventes depuis déjà plusieurs semaines : les Effacées de Bernard Minier, publié aux éditions XO.
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