L’avenir d’une filière convalescente sera au centre des échanges lors de ce rendez-vous qui se tient les 11 et 12 janvier, à Nantes, avec une riche programmation.
Inflation, énergies, mutations des publics, crise des vocations, tensions salariales, annulations de festivals potentielles pour cause de JO… Le début de saison 2022/2023 aura été celui de tous les dangers pour le spectacle vivant, qui aura rarement croisé autant de chausse-trapes dans son histoire. Des défis économiques, techniques et éthiques qui trouveront probablement des éléments de réponses et seront en tout cas mis en débat lors de la prochaine édition des Biennales Internationales du Spectacle, qui se tiendra les 11 et 12 janvier à Nantes autour d’une programmation foisonnante. « Nous serons présents aux BIS pour construire des alliances, signale le directeur du Syndeac Vincent Moisselin. Ce rendez-vous s’inscrira dans la cohérence d’un cheminement que nous avons amorcé au Salon des maires puis lors de notre séminaire à Villeurbanne ». À Nantes, l’USEP-SV organisera ainsi une table ronde coup de poing sous l’intitulé « La fin du spectacle vivant dès 2023 ? ». « Nous voulons jeter un pavé dans la mare, poursuit Vincent Moisselin. Entre les attaques plutôt rudes de certaines collectivités et les menaces qui pèsent sur nos maisons en raison de la facture énergétique, les dangers sont réels. Le Théâtre du Chêne noir à Avignon subit, par exemple, une augmentation d’inflation de 400 %, il supprime 15 spectacles sur le premier semestre, c’est à se demander si le spectacle vivant sera encore là à la fin de l’année ». Plus de 200 kiosques seront en tout cas représentés au sein de La Place des Tournées ainsi que 180 stands pour les exposants. De nombreux forums seront organisés au cours des deux après-midi. Avec un grand rendez-vous organisé par la Direction générale de la création artistique du ministère de la Culture articulé en deux problématiques : « Comment renforcer les conditions d’un parcours artistique sur la durée ? » et « Mieux produire pour mieux diffuser ? ».
La DGCA en force
La DGCA, qui a renforcé ses rendez-vous pour cette édition des BIS, proposera aussi, le jeudi à 9 heures, un petit-déjeuner « Conférence débat avec les délégués musique, danse, théâtre et politiques transversales de la DGCA ». La Sacem et le CNM seront aussi fortement impliqués. D’autres tables rondes sont prévues avec l’Institut français, le CNM, le SMA, le Prodiss, Culture LSF, l’ONDA, la Fevis… La Fédération des ensembles vocaux et instrumentaux spécialisés, qui partage un stand avec la fédération Grands Formats et Futurs Composés, veut renforcer sa présence et suivre son fil rouge de la place de la musique au sein des scènes pluridisciplinaires. « Nous faisons partie des secteurs qui se sentent en danger, alerte Louis Presset, délégué général de la Fevis. Nos ensembles se sont construits autour d’équipes administratives professionnelles, notre secteur n’a pas de lieu dédié à la musique de patrimoine et de création, nous ne pouvons pas nous appuyer sur ce réseau labellisé de structures plus solides et mieux financées qui permettent d’amortir les différentes crises. Notre vrai réseau, ce sont les festivals. La majorité de ceux qui invitent des ensembles ou des projets de musique classique ne sont pas de gros événements et ne seront donc pas impactés par des restrictions éventuelles liées aux JO. En revanche, les désengagements des collectivités vont toucher nos festivals. Le financement direct aux ensembles de toutes les collectivités pèse le même poids que celui de l’État. Autre épée de Damoclès : les baisses de recettes ou le fameux arrêt Rapp que subissent les organismes de gestion collective tels que la Spedidam, l’Adami, la Sacem. Elles financent moins le CNM et leurs fonds d’action culturelle sont moins dotés. Tout cela risque de faire défaut à notre secteur car le marché ne permet pas à notre répertoire de se suffire à lui même ».
Masses salariales
En 2018, dernière année étudiée non touchée par la crise, le secteur des ensembles de la Fevis n’en pesait pas moins 72 M€ de budget, avec une masse salariale de 47 M€, alimentée à 70 % par les artistes. Les 51 adhérents des Forces musicales, syndicat professionnel des opéras et des orchestres, s’inscrivent dans un paradigme similaire puisqu’ils revendiquent 20 000 personnes à l’effectif entre les artistes, les intermittents du spectacle, les permanents. « Les NAO, en plus des évolutions de salaires liées à l’ancienneté, ont toujours un impact important sur nos structures, remarque le directeur du syndicat professionnel Sébastien Justine. Lorsque survient l’inflation, elle impacte donc fortement nos marges de manoeuvre et des impasses se profilent. Alors que nous sommes un secteur qui programme deux, trois ans à l’avance, pour certains adhérents se pose déjà la question d’annuler des productions à l’horizon de cette fin de saison ou de la saison prochaine. Tout dépendra de la teneur précise des dispositifs de compensation prévus par l’État. » Chacun se prépare aux travaux pratiques et à faire ses calculs. Le programme d’ateliers des BIS a d’ailleurs été amplifié avec près de 80 thématiques, souvent gratuites (attention places limitées, les accréditations sont accessibles sur bis2023.com) : développement de projets culturels, gestion de l’entreprise de spectacle, billetterie et gestion des publics, actualités juridiques…
Grands témoins
Ce qui n’interdit pas d’élargir les débats et de prendre de la hauteur. Ce sera tout l’enjeu des interventions de 26 grands témoins qui se succéderont en matinée pendant deux jours. Parmi eux : Nicolas Dubourg du Syndeac/ USEP-SV, Laurent Decès du SMA, la directrice générale du Prodiss Malika Séguineau, Christopher Miles de la DGCA, le président de la FNCC Frédéric Hocquard (une rencontre intitulée « La culture est-elle soluble dans les Jeux Olympiques ? » est prévue) et même l’ancien ministre de la Culture Jacques Toubon ou la sénatrice Sylvie Robert... « En cette période extrêmement délicate et de mutations, il nous faut d’autant plus être en collaboration rapprochée avec nos partenaires publics, considère Jean Bellorini, directeur du Théâtre national populaire à Lyon. Travaillons main dans la main et pas les uns contre les autres. Ce qui est essentiel, c’est la lumière et l’eau, c’est la vie. Mais on ne peut pas pour autant laisser disparaître nos théâtres, qui sont parfois là depuis plus de 100 ans, un partenaire public doit avoir conscience de ce qu’induit son désengagement. » Malgré ses propres difficultés, la filière ne perd pas pour autant de vue les principes de l’exception culturelle française et de son pendant, la diversité. Elle reste ouverte au monde, n’oubliant pas de se projeter dans l’altérité. L’accueil d’artistes étrangers subissant des tyrannies, avec les exilés afghans (lire page 4) ou les derniers développements dramatiques autour de l’Iran, est en passe de se structurer, notamment sous l’égide de l’Association des centres dramatiques nationaux (ACDN). « Il y a l’Ukraine mais aussi des artistes dissidents russes qui réclament malgré tout notre attention », observe Joris Mathieu, vice- président de l’ACDN.
NICOLAS MOLLÉ