Chronique. La fracture est nette, presque caricaturale. Pour la culture, Emmanuel Macron entend choyer les artistes vivants, Marine Le Pen les vieilles pierres inertes. Au premier la création, à la seconde le patrimoine. Les deux candidats ont des mesures plus larges en magasin, mais la couleur affichée de leur programme pour le quinquennat à venir est claire.
Création et patrimoine sont les deux jambes du ministère de la culture depuis sa création, en 1959. Une tendance se dessine. Les neuf premiers titulaires du poste, tous de droite, ont plutôt donné la priorité aux monuments, avant que le socialiste Jack Lang bouge le curseur en 1981, mettant l’accent sur les artistes. N’en tirons pas une fracture paresseuse, tant des emblèmes du passé accueillent la création d’aujourd’hui. Reste que l’argent n’étant pas extensible, le débat fut virulent entre les deux camps, les milieux culturels appelant parfois l’Etat à abandonner le patrimoine aux mécènes privés.
C’est dans ce contexte qu’Emmanuel Macron, le 17 mars, a énuméré ses priorités : intensifier les commandes à des artistes, étendre le nombre de bénéficiaires du Pass culture aux élèves de 6e pour en faire le bras armé de l’éducation à l’art, et créer un métavers européen afin de défendre les auteurs face aux géants anglo-saxons ou chinois.
Instrumentalisation
De son côté, Marine Le Pen a des mots vibrants pour le patrimoine dans son manifeste. Dénonçant un Etat qui « saccage », la candidate du Rassemblement national souhaite établir un inventaire de sites mémorables et faire de leur sauvegarde une cause nationale. Elle mettra en place un service national du patrimoine ouvert aux volontaires de 18 à 24 ans, et les propriétaires de manoirs ou de châteaux bénéficieront d’une fiscalité plus favorable.
Les amoureux du patrimoine, fatigués de longue date d’avoir pour soutien l’extrême droite, risquent de peu goûter la façon dont la candidate instrumentalise le sujet. Outre que nombre de sites agrègent des cultures étrangères, elle balaye le débat autour du « tout protéger », pourtant toujours plus central à mesure que le temps passe.
C’est surtout le rôle que Marine Le Pen assigne aux monuments qui frappe. Les nobles édifices doivent tenir « une place majeure dans le redressement moral du pays ». Elle fait « parler » les vieilles pierres, qui, elles, contrairement aux artistes, ne parlent pas. Elle leur donne un passeport français, pas universel.
Sur le patrimoine, Marine Le Pen fait du Eric Zemmour – leurs mots sont proches. Pour la culture en général, elle fait du Zemmour soft. Elle entend préserver le ministère de la culture quand le polémiste voulait le réduire à un secrétariat d’Etat aux beaux-arts chargé des monuments et donc amputé de ses aides à la création, qui ne serviraient qu’à nourrir des gauchistes salissant la France.
Repoussoir historique
Marine Le Pen promet, au contraire, de ne pas remettre en cause « les aides dont bénéficie aujourd’hui la création ». Elle ne touchera pas plus au régime des intermittents du spectacle. Mais elle ne s’étend pas sur ces deux sujets, au-delà d’une poignée de mots, alors qu’elle consacre un livret entier, riche en mesures, au patrimoine. Pas un mot non plus sur le financement de la culture sauf à dire que celui des monuments sera triplé.
Sera-t-elle tentée de prendre l’argent de la création pour le donner au patrimoine ? C’est la question. Un indice va en ce sens. Pour Marine Le Pen, le 1 % du coût d’un chantier public, servant légalement à financer des commandes d’œuvres à des artistes, sera réduit à 0,5 %, le reste étant versé à la restauration de monuments. Sans doute la candidate, qui, il y a cinq ans, dénonçait l’« art officiel » et voulait lui opposer un Salon de l’art caché, a pour livre de chevet L’Etat culturel (Editions de Fallois, 1991), de Marc Fumaroli, dans lequel, non sans talent, l’historien affirmait qu’un Etat finançant la création ne fait que générer des artistes officiels.
Sans ouvrir ce débat, disons que l’extrême droite constitue un repoussoir historique pour les milieux culturels. Ces derniers n’ont pas oublié comment des villes gagnées par le FN dans les années 1990, Toulon ou Vitrolles (Bouches-du-Rhône), ont manié la censure. Alors ils ont du mal à imaginer la candidate du RN en championne de la liberté d’expression.
Politique sans ambition
Emmanuel Macron, de son côté, a dégagé près de 14 milliards d’euros durant les confinements pour soutenir la culture. En prime, le budget du secteur n’a cessé d’augmenter pendant cinq ans, et davantage en 2022. Le patrimoine comme la création en ont profité et tout porte à croire que ça continuera.
Les milieux culturels ont donc fortement intérêt à voir le président reconduit. Pourtant, il n’est pas sûr du tout que ces derniers lui accordent largement leurs suffrages. Ils lui reprochent une politique culturelle sans ligne directrice ni ambition, trop consumériste aussi. Ils digèrent mal le Pass culture et le projet de suppression de la redevance audiovisuelle – que dire alors de Mme Le Pen, qui entend privatiser l’audiovisuel public.
L’essentiel est ailleurs : M. Macron est jugé trop à droite par des milieux culturels très à gauche. Beaucoup ont dit leur amertume, voire leur dégoût, après le premier tour. Alors que leurs œuvres promeuvent souvent le...