Six jeunes apprentis comédiens du Théâtre de Lille racontent leur vision du mouvement #metoothéâtre et ce qu’il a changé pour eux.
Les débuts de #metoo, il y a cinq ans, sont un peu flous dans leurs souvenirs. Peu, parmi les six apprentis comédiens rencontrés au Théâtre du Nord, à Lille, jeudi 6 octobre, se rappellent ses premières manifestations sur les réseaux sociaux : ils étaient encore au lycée ou tout juste sortis du bac et ont grandi dans un nouveau contexte des rapports amoureux. Quand ils sont arrivés dans le monde du théâtre, la libération de la parole des femmes semblait une évidence. « On n’a pas connu un milieu replié sous les effets de la peur », constate Jessim Belfar, 24 ans, élève référent harcèlement de la promotion, qui a fait une classe préparatoire égalité des chances à Bobigny (Seine-Saint-Denis). Iris Laurent, élève autrice, est peut-être la seule à se remémorer les nombreux témoignages qui avaient alors fleuri : « J’étais sidérée et je me disais que ce n’était pas un milieu facile », témoigne la jeune femme, qui confie être « plus vigilante et moins tolérante » depuis.
« On voit bien qu’on est encore au milieu du chemin… » Iris Laurent, élève autrice
Mieux informé que les générations précédentes, plus conscient aussi des enjeux d’égalité, le petit groupe de 20 comédiens de l’école du Nord assure vivre sa deuxième année d’apprentissage en toute sérénité. Selon David Bobée, qui dirige l’Ecole supérieure d’art dramatique et le théâtre du centre de Lille, les règles ont été fixées dès les premiers jours de septembre 2021. Une réunion sur les violences et le harcèlement sexuel et sexiste est venue compléter, en septembre, la formation. « On leur a donné les outils juridiques et montré les situations de violence possibles », assure le directeur, qui souligne que la promo est parrainée par l’écrivaine Virginie Despentes et la metteuse en scène Eva Doumbia. Les élèves, eux, disent simplement qu’ils ont la chance d’être un « groupe bienveillant » : « On passe notre vie ensemble, on peut voir, interagir et dire “ça ne va pas”, c’est banalisé », relate Jessim. « On a appris à dire “je ne suis pas à l’aise avec cette situation” », renchérit Loan Hermant, 22 ans, intégré après une prépa égalité des chances à Béthune (Pas-de-Calais).
Pour ces jeunes à peine entrés dans le milieu, la notion de consentement est une évidence, un prérequis. Dans une pratique où la proximité sur le plateau est grande, les corps souvent très proches et les gestes parfois invasifs, des codes ont été établis. « Il y a le réflexe de toujours demander avant de toucher une ou un comédien. Tous les profs le font, c’est tellement plus sain ! On se débarrasse de l’idée que le théâtre doit être violent », explique Ambre Germain-Cartron, comédienne passée par le conservatoire de Rennes. « La pression pèse plus sur les épaules des responsables pédagogiques. Ils doivent se dire : “Faut pas qu’on merde !” », glisse, presque amusé, Sam Chemoul, qui assume que sa génération ait « un regard plus aiguisé ».
Profonde dépression
Tous savent que les violences sexuelles ont encore cours dans le milieu. Certains ont connu dans d’autres écoles ou sur des tournages – beaucoup font de la figuration dans le cinéma − une ambiance bien moins « safe », selon leur mot. Poline (elle a préféré ne pas donner son nom de famille) a les mots qui butent quand elle parle de l’atmosphère des trois années qu’elle a passées au Cours Florent, à Paris. « Durant le confinement, des témoignages sont sortis sur un compte Instagram, et je me suis rendu compte de ce que j’avais subi », confie cette jeune femme blonde de 25 ans, évoquant sobrement les attouchements vécus dans les couloirs de l’école.
Loan, lui, parle d’un viol ou plutôt de plusieurs endurés en 2018. Un réalisateur l’avait sollicité pour...
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