Ce diplôme universitaire délivré en deux ou trois ans forme à l’animation autour de la musique, auprès du jeune public. Mais le manque de reconnaissance de la profession freine les vocations.
« Dis-moi, Pépita, pourquoi te tapis-tu dans les buissons ? », « Dis-moi, Pépita, pourquoi te tapis-tu dans les buissons ? »… Eclats de rire. En miroir, les étudiants répètent les phrases déclamées par la professeure sur différents tons : à la façon d’un présentateur météo, en parlant comme une sorcière, en chantant. « Un jeu utile pour établir une connexion avec les petits, ils sont obligés d’être concentrés pour que cela fonctionne », sourit Géraldine Camusat, dont le cours est intitulé « Production scénique avec les enfants ». Si tout va bien, ses étudiants, en 2e année au centre de formation des musiciens intervenants (CFMI) de l’université de Tours (Indre-et-Loire), obtiendront, dans quelques mois, le diplôme universitaire de musicien intervenant (Dumi). Des jeunes « dumistes » qui devraient rapidement trouver du travail. Car, partout, on recrute des musiciens intervenants.
En développement, ce métier est encore peu connu. A la fois professeurs de musique, musiciens et animateurs, les musiciens intervenants ont un savoir-faire spécifique. Ils interviennent généralement dans des écoles, pour « amener les enfants à tester des pratiques musicales et artistiques », détaille Géraldine Camusat. Leur intervention s’inscrit sur le long terme, et se clôt par une représentation ou un enregistrement. « Nous mettons notre public dans une position de création », souligne Julie Lacaze, 35 ans, ex-journaliste en reconversion au CFMI de Tours. « Ce ne sont pas seulement des musiciens, ce sont aussi des pédagogues, des travailleurs sociaux, ils créent des liens », résume le sociologue Francis Lebon, qui a publié une enquête sur ces professionnels en 2014 (Profession « musicien intervenant » à l’école, L’Harmattan). Le profil type ? En majorité des femmes, plutôt d’un niveau d’études élevé, et issues d’un milieu social privilégié.
La plupart des CFMI exigent de leurs candidats au minimum deux ans d’expérience postbac, études supérieures ou activité professionnelle. Recrutés sur tests, les admis ont tous un bon niveau musical, aiment partager avec un public et font preuve de créativité et d’adaptabilité. La formation, quant à elle, est intense. « Stage de beatbox, cours de danse traditionnelle, de percussions corporelles, de danse, de chant, d’accompagnement au piano, d’écriture de chansons… Chacun s’approprie ce qu’il veut pour sa future pratique », détaille Paul Taillebois, 25 ans, en 2e année au CFMI de Tours. « On survole aussi des domaines comme la psychologie de l’enfant, la culture musicale, la méthodologie de la création », ajoute Bastien Ragot, 26 ans, diplômé en 2018 du même CFMI et musicien intervenant en conservatoire. Alexia Walter, diplômée en 2019 du CFMI de l’université de Strasbourg, à Sélestat (Bas-Rhin), souligne la place donnée à la pratique, « avec un stage chaque année en école pour monter un projet avec les classes ».
De plus en plus d’opportunités
Chaque année, une centaine de jeunes diplômés rejoignent les rangs des 3 360 musiciens intervenants en activité, selon le Conseil national des CFMI. Les trois quarts sont employés par des collectivités territoriales. « D’autres sont salariés d’associations, notamment les centres musicaux ruraux, et certains sont autoentrepreneurs », détaille François Vigneron, président du Conseil national et directeur du CFMI d’Aix-Marseille Université (Bouches-du-Rhône).
Et ils n’ont aucun mal à trouver du travail. « J’en ai même trop, à tel point que j’en redistribue », confie Mélanie Rougeux, musicienne intervenante et responsable du pôle musique et petite enfance au CFMI de Sélestat. D’autant plus que, depuis une dizaine d’années, les opportunités d’emplois s’élargissent. Historiquement, les CFMI et le Dumi, créés en 1984 par les ministères de la culture et de l’éducation nationale, visaient l’école élémentaire. La pratique de la musique est alors vue comme un outil pour favoriser l’apprentissage de l’expression, de l’écoute, du respect ou de la concentration. « Aujourd’hui, ils interviennent aussi en école de musique, au collège, à l’hôpital, en Ehpad, en milieu carcéral, en crèche ou auprès de personnes handicapées. Ils servent aussi de médiateurs culturels pour des structures artistiques », explique Abril Padilla, directrice du CFMI de Sélestat. Pour Isabelle Grégoire, responsable de parcours au CFMI de Tours, cette évolution montre que « la société reconnaît de plus en plus que la musique constitue un espace de création de relations ».
Mais les conditions d’exercice du métier sont complexes. « Difficile de trouver un temps plein dans une même structure. Souvent, nous avons des heures par-ci par-là », éclaire Clara Orgeval, diplômée en 2018 du CFMI de Tours. Avant de trouver un temps plein dans un conservatoire pour lequel elle assure des interventions en milieu scolaire, de l’éveil musical ou des ateliers d’orchestre, la jeune femme a écumé les routes de Sarthe : « Entre 1 h 15 et 2 heures de voiture par jour, pour six écoles différentes, trente minutes de séance, puis je devais ranger mon matériel et le transporter ailleurs… C’est un rythme épuisant. » Selon une enquête portant sur les diplômés du CFMI de Tours, menée en 2016 par l’observatoire de la vie étudiante de l’université François-Rabelais, 36 % des diplômés exercent pour plus de quatre employeurs.
Bas salaires
Les contrats sont aussi souvent précaires. « Dans la fonction publique, nous sommes – du moins au début, avant de peut-être passer le concours pour devenir fonctionnaires – employés comme vacataires, en CDD… », détaille Bastien Ragot, qui s’estime cependant chanceux d’avoir un temps plein au conservatoire pour exercer son « métier passion ». D’autres sont autoentrepreneurs. Beaucoup cumulent les statuts. Avec des salaires moyens assez bas : « Environ 1 300-1 400 euros net en début de carrière », estime François Vigneron, le président du Conseil national des CFMI. D’autant plus que les frais de déplacement ou de matériel sont parfois à leur charge.
Résultat : beaucoup d’offres ne sont pas pourvues, et dans les universités, les CFMI peinent à remplir leurs promotions. « C’est un métier très intéressant, important pour la démocratisation de la culture, et rempli de sens, mais il existe de nombreux freins à son attractivité », confirme Simon Bolzinger, coprésident de la Fédération nationale des musiciens intervenants (Fnami). Le taux de reconversion semble d’ailleurs important : « Par exemple, dans ma promo du CFMI Ile-de-France de l’université Paris-Saclay, nous ne sommes plus que deux à exercer sur dix diplômés en 2014. » La Fnami, les CFMI et nombre de musiciens intervenants militent donc pour une meilleure reconnaissance du métier...
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