Deux études viennent de rendre des conclusions inquiétantes sur les pratiques culturelles des Français : non seulement la démocratisation culturelle est en panne, mais les jeunes, plus confiants dans les algorithmes et les réseaux sociaux que dans les institutions culturelles publiques, délaissent les sorties réelles au profit de consommations en ligne de musique, vidéo ou jeux vidéo.
La démocratisation culturelle est en panne, comme le montre la récente étude du ministère de la Culture sur « Cinquante ans de pratiques culturelles en France ». Si la culture a pris une place croissante dans le quotidien des Français, les diplômés du supérieur sont toujours trois fois plus nombreux que les non-diplômés dans les bibliothèques, 4,3 fois plus présents dans les cinémas, tandis que les musées et monuments voient affluer un public de plus en plus élitiste et de moins en moins mélangé.
Même dans les festivals qui essaiment partout, « le renouvellement des publics ne s'est pas accompagné de la diversification sociale escomptée », relève l'étude « So Fest », menée pour France Festivals par deux chercheurs qui avaient déjà enquêté en 2008. Pourtant, la forme festivalière est moins impressionnante que l'entrée imposante de certaines institutions...
Inégalités culturelles
Parmi les causes de ce fiasco, le fait que, longtemps, le ministère de la Culture et ses grands établissements subventionnés se sont considérés comme les « sachants », certes dans une intention louable, mais au mépris des acteurs socioculturels au plus près des classes populaires, dont la médiation aurait pu être précieuse.
Si, en créant le ministère de la Culture, on a éloigné la politique de l'Etat du champ socio-éducatif, comme le confirme Jean-Jacques Aillagon, l'ancien occupant de la rue de Valois déplore également que « l'Education nationale n'ait pas joué un rôle majeur pour réduire ces inégalités culturelles » en sensibilisant, dès l'école, aux différentes disciplines artistiques. Pour lui, multiplier les offres et les gratuités pour les moins de 26 ans, sans susciter un désir de culture, ne sert pas à grand-chose. « Le ministère de la Culture est avant tout celui des artistes et des gens déjà cultivés », estime-t-il.
Un temps, on a espéré que le numérique pourrait permettre l'élargissement des publics. Les institutions culturelles ont fait beaucoup d'efforts pour offrir des contenus de qualité en ligne, notamment pendant le confinement. Mais, là encore, elles ont surtout réussi à séduire leur public habituel : ceux-là mêmes qui consomment, in situ, les pièces de la Comédie-Française, les ballets de l'Opéra de Paris, les expositions du Louvre ou du Grand Palais.
Pratiques virtuelles
Force est de constater que les politiques culturelles n'ont pas non plus fait le poids face aux Gafam et à leurs redoutables algorithmes, surtout auprès de jeunes. L'étude du ministère montre un décrochage sur les dix dernières années des moins de 35 ans, et en particulier des 15-24 ans, qui délaissent très largement les sorties culturelles au profit des seules pratiques virtuelles : musique en streaming, vidéos en ligne, jeux vidéo, réseaux sociaux…
Au point d'évoquer un risque « d'affaissement » - indépendant, celui-là, de l'effet Covid-19 - du nombre de visiteurs des sites patrimoniaux, des musées, des lieux dédiés à la musique classique, à l'opéra, au théâtre. Ainsi, parmi les 15-28 ans, 42 % d'entre eux sont allés voir au moins un spectacle au cours des douze derniers mois, ils étaient 54 % dans la même tranche d'âge pour la génération née entre 1985 et 1994. Et seulement 2 % des 15-28 ans, aujourd'hui, ont assisté à un concert de musique classique en 2018, 10 % à un spectacle de variété ou d'humour.
Certes, la fréquentation des bibliothèques est en hausse grâce à leur multiplication sur le territoire, mais la lecture est une pratique en baisse au fil des générations, même pour la BD. La part des lecteurs assidus au sein des 15-24 ans est presque deux fois plus faible en 2018 qu'en 1973.
Les jeunes regardent aussi moins les médias traditionnels, alors que 65 % des 15-24 ans voient dans les réseaux sociaux l'un des accès privilégiés à l'information : la nécessité de renforcer l'éducation aux médias et à l'image, avec une politique beaucoup plus volontariste, est criante.
« Les baby-boomers faisaient confiance aux institutions publiques pour leur montrer le meilleur de la culture, à l'inverse des jeunes, qui entretiennent un rapport distancié à leur égard. Pour eux, c'est leur communauté numérique qui crée la valeur et la légitimité. Mais cela engendre une perte de récit commun, de repères patrimoniaux, ouvrant la voie aux fractures sociales, aux mouvements contestataires et autres déboulonnages de statues », note Louis Wolff, l'un des auteurs de l'étude du ministère de la Culture.
L'espoir du Pass Culture
« On constate chez les jeunes une augmentation considérable du passage par les Gafam pour construire leur rapport à la culture, avec tous les risques de dépendance aux algorithmes que cela implique et d'appauvrissement de la diversité culturelle », note pour sa part Emmanuel Négrier, l'un des auteurs de l'étude So Fest. « Ils sont dans une logique de suivisme à l'égard de l'offre proposée, qui donne l'apparence du choix, mais qui échappe à leur libre arbitre. Un asservissement vis-à-vis duquel les grandes institutions culturelles sont démunies et qui frappe davantage les classes populaires. »
Et quand les jeunes ne suivent pas les préconisations des algorithmes à l'approche mécanique et commerciale, ils écoutent celles d'une poignée infime de copains. Emmanuel Négrier constate que...
Lire la suite sur lesechos.fr