L’article 7 du projet de loi, qui prévoit la mise en place provisoire de la vidéosurveillance dite intelligente, suscite la crainte de certains organisateurs de manifestations musicales, qui serviraient de terrain d’expérimentation.
Après celle des annulations, une inquiétude supplémentaire plane sur les festivals depuis quelques semaines. Le projet de loi relatif aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024, qui a été examiné les 24 et 25 janvier au Sénat, prévoit d’autoriser, à titre expérimental, la collecte d’images par des drones ou des caméras statiques et leur analyse par des algorithmes. Le débat, qui se concentrait au départ sur la reconnaissance faciale – rapidement évacuée du texte –, se focalise à présent sur le dispositif de caméra augmentée au-dessus des têtes des spectateurs.
L’ampleur des futurs Jeux olympiques sert à justifier l’urgence des mesures. Pourtant, le projet de loi étend la vidéosurveillance aux « manifestations récréatives et culturelles ». Certains festivals de musique, qui se sentent visés, s’opposent fermement à la mesure. Pour Frédéric Hocquard, président de la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la culture, le texte place les événements culturels dans une relation d’équivalence avec les événements sportifs, alors que chacun possède une identité et des exigences singulières en matière de sécurité : « Un match de football n’est pas un festival de musique », souligne-t-il.
Par ailleurs, la nature expérimentale du dispositif suscite la crainte de certains professionnels du secteur. La collecte de données et leur traitement algorithmique prévu leur donnent le sentiment de servir de laboratoire pour un usage sécuritaire de l’intelligence artificielle. « Nous ne sommes pas des cobayes », s’agace Frédéric Hocquard. Pour la Quadrature du Net, une association de défense des libertés individuelles spécialisée dans les questions technologiques, les entreprises de sécurité ont besoin de cette expérimentation pour entraîner leurs algorithmes.
Selon une chercheuse spécialiste des politiques de sécurité dans l’espace urbain – elle a tenu à garder l’anonymat –, les événements culturels sont particulièrement adaptés à une expérimentation car leur public, peu politisé, serait moins susceptible d’identifier les dispositifs de sécurité et de les associer à un projet de surveillance sociale.
Laboratoires d’expérimentation sociale
La durée d’application de ces mesures jusqu’au 30 juin 2025 – soit au-delà de la clôture des Jeux olympiques et paralympiques – accroît la suspicion de certains organisateurs. France Festivals, réseau de festivals de musique et du spectacle vivant, notamment, redoute qu’elles deviennent permanentes. Boris Vedel, directeur du Printemps de Bourges, tempère : pour lui, les festivals ont toujours été des laboratoires d’expérimentation sociale. « Le recyclage, le tri et la valorisation des déchets ont été testés en festival », rappelle-t-il.
Le ministère de l’intérieur se défend, quant à lui, de vouloir utiliser les festivals par le biais de ce texte pour tester des technologies de vidéoprotection. Mais confirme, dans un bel euphémisme, la possibilité que l’article 7 du projet de loi le permette : « L’Etat n’a pas pour ambition de réaliser d’expérimentations technologiques particulières sur les festivals, en dehors d’une éventuelle situation qui entrerait dans son champ d’application. »
La rapporteuse du texte, la sénatrice Agnès Canayer (Les Républicains), vante même une « avancée qui permettra de dégager du temps et des moyens pour les forces de l’ordre ». Si le projet de loi devait être appliqué, les festivals espèrent que la part de leur budget consacrée à la surveillance ne s’en trouvera pas affectée.
Traitement des données
Au-delà de l’incidence financière, le texte acte un changement d’approche en matière de sécurité. La mise en place de la caméra augmentée repose moins sur une approche humaine (repérer des bagarres ou des agressions) que sur une volonté politique mettant l’accent sur la prévention des actes de terrorisme ou d’atteinte grave à la sécurité des personnes. Le patron du Printemps de Bourges entrevoit l’utilité de cette stratégie : pour lui, utilisés à bon escient, les drones peuvent constituer des outils de prévention efficaces pour améliorer la sécurité collective, en soutenant le travail du personnel de sécurité ou en détectant des mouvements de foule.
« Les festivals sont des espaces où les comportements anormaux sont la norme »
– Jean-Paul Roland, directeur des Eurockéennes
Mais le traitement des données collectées par ces drones soulève des craintes. Il peut représenter une atteinte aux libertés individuelles des festivaliers, signale Noémie Levain, juriste à la Quadrature du Net. Le ministère de l’intérieur assure que la nature sécuritaire du traitement algorithmique « a pour unique objet de détecter, en temps réel, des événements prédéterminés susceptibles de présenter ou de révéler...
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