L’égalité homme-femme devait être « la » grande cause du quinquennat Macron. Deux ans après, pourtant, dans la culture comme ailleurs, il ne s’est rien passé ou presque.
C’est une grande cause, mais un budget minuscule : 530 M€ tous ministères confondus. Bien sûr, tout n’est pas qu’affaire de gros sous. Les représentations, les stéréotypes, la visibilité, l’égalité des chances se mesurent à d’autres critères et dans ce domaine, la Culture est en première ligne. On ne peut nier certaines avancées depuis le premier rapport Reine Pratt paru en 2006. Comme le confirme la présidente de la SACD, Sophie Deschamps, « une prise de conscience a eu lieu. Les jurys sont paritaires et la place des femmes dans les grands festivals a changé, cela se voit, même si pour les autrices, cela reste difficile. Maintenant, il faut appliquer la loi à tous les endroits pour une véritable égalité des chances et des moyens ».
Nominations en stagnation
Faut-il le rappeler encore et toujours : 30 % des structures labellisées seulement sont dirigées par des femmes. 38 % d’entre elles dans des lieux dotés d’un budget inférieur à 1 million d’euros. Dans les établissements publics, les plus prestigieux, on ne compte qu’une femme pour 10 hommes aux postes de direction.
Marion Aubert, autrice confirmée et respectée, a candidaté cinq fois à la direction d’un CDN, parfois seule, parfois en compagnie de la codirectrice de sa compagnie, la metteuse en scène, Marion Guerrero. La dernière fois, elle a même annulé une création tant elle y croyait… « On connaissait bien les CDN, on avait grandi dans ces maisons, pour autant, nous avions du mal à nous projeter directrices, à dire le vrai, on ne se posait même pas la question. C’est à l’invitation du ministère que nous nous sommes lancées dans l’aventure. Imaginer un tel projet était très inspirant, même si nous avons senti, très vite, que nous ne serions pas nommées, se souvient-elle. C’était une première candidature, c’est vrai, mais pas seulement, très vite, on le sent, c’est un je ne sais quoi, on n’en est pas, de ce club-là, pas tout à fait. Nous étions bien jeunes, on est trop jeunes ! On entendait ça – était-ce ça ?, les maigres retours et arguments que nous avons glanés après nos candidatures, quand ça n’est pas l’absence totale de retours – laissent parfois sans voix. » Et de dire à mots retenus, et c’est le plus grave, l’impact de ces échecs répétés. « Je parle de ce qui reste. Ces petites phrases assassines qui font leur travail de sape, de tri, de recyclage. Qui vous hantent et se gravent. Le tragique, ce n’est pas de ne pas être nommées, c’est cette mise en doute perpétuelle, latente, banale, de la légitimité des artistes femmes. Et la tentation de renoncement. D’abandon. Et d’auto-exclusion. » Le chiffre consterne. Zéro femme artiste primée au Molière du metteur en scène entre 2010 à 2018. Or pour diriger un CDN, on demande aujourd’hui aux candidats de présenter un bilan de leur diffusion. Mais les femmes ont moins de moyens (28 % des fonds publics), sont moins programmées (30 %).
Le poisson se mord la queue… Une invisibilité qui touche directement la création, donc les représentations symboliques. Un seul exemple, la femme de plus de 50 ans. L’AAFA (Actrices et acteurs de France associés), qui a en son sein une commission, le Tunnel de la comédienne de 50 ans, a fait les comptes. Entre 50 et 65 ans, difficile pour une comédienne de trouver un rôle, 6 % des rôles dans les fictions. Les femmes de plus de 50 ans représentent pourtant un quart de la population française, et une personne majeure sur 2. La comédienne Sophie Bourel en explique les ravages. « Les femmes ne sont représentées que quand elles sont potentiellement fécondables et réapparaissent quand elles deviennent grands-mères. Ce qu’on voit, ce sont des hommes de 60 ans dans leur puissance magnifique, épouser des filles de 25 ans. Moi même quand j’ai eu 35 ans, on m’a dit en casting que je ne pouvais plus être mère d’un adolescent, poursuit-elle. Comment les filles peuvent-elles se projeter dans une carrière, une indépendance, un métier avec de telles représentations ? Nous avons demandé au ministère une étude genrée par âge des comédiens, mais on ne l’obtient pas. » Des quotas ? Non. Sophie Deschamps encore s’en irrite. « L’état ne veut pas en entendre parler, il y oppose le talent, mais c’est inouï que les femmes aient si peu de talents... ».
L’omerta
Les violences sont une des conséquences de cette inégalité de fait. Or dans un milieu où le désir est érigé en loi, difficile de prouver. Dans un communiqué paru au dernier Festival d’Avignon, plusieurs associations pointent : « Entre les bienfaits de la libération de la parole et l’injonction de ne pas tomber dans les travers de la délation, le milieu du spectacle a choisi le silence et le déni. » Il faut dire que si le milieu bruisse de témoignages et accusations, aucune suite judiciaire à notre connaissance ne vient corroborer les faits incriminés. Et la profession se drape dans la présomption d’innocence comme l’Association des centres dramatiques nationaux (ACDN) dans un récent communiqué : « L’ensemble d’une profession [donne] à tort et à travers son avis, sa conviction intime. Qui a raison ou qui a tort ? Qui dit la vérité et qui ment ? » La parole de victimes est difficile, elle ne peut être réduite à des ragots de pipelettes, c’est injuste et injurieux.
Faut-il rappeler que quand on parle, des projets, des équipes peuvent tomber à l’eau ? Les Tenaces, rare collectif féministe – né de circassiennes – a choisi les réseaux sociaux et les opérations coup de poing pour donner de la voix contre les vers machistes du Festival d’Aurillac ou pour exiger les excuses du directeur du Printemps des comédiens à la programmation sexiste. « On a été un peu considérées comme des OVNI, mais les choses bougent. Nous nous sentons de plus en plus écoutées donc de plus en plus crédibles. » Soit. Le ministère de la Culture s’est doté en 2018, d’une ambitieuse feuille de route 2018-2022 pour atteindre la parité des nominations, des salaires, des programmations et a adopté des mesures pour lutter contre les violences. Les quotas sont en marche, pour l’instant sur le papier. « Ça lasse, conclut Sophie Deschamps. Donnez-nous les clefs, on vous fera quelque chose de juste, ce n’est pas une revendication de follasse ! » On ne saurait mieux dire…
Anne Quentin
Des chiffres sans appel
97 % des groupes programmés par les grands festivals de musique sont composés exclusivement ou majoritairement d’hommes.
72 % des avances sur recette du Centre national du cinéma vont à des projets menés par des hommes.
Depuis sa création il y a 70 ans, le festival de Cannes a décerné 1 palme d’or à une femme.
Aucune femme ne dirige un théâtre national ou l’un des 7 Centres nationaux de création musicale.
Tous secteurs confondus : 52 % étudiants des enseignements supérieurs sont des femmes, 31 % sont effectivement actives, 23 % sont aidées par des fonds publics, 11 % sont programmées pour des œuvres écrites par elles, 18 % sont dirigeantes, leur rémunération est inférieure de 27 % à celle des hommes, de 4 à 12 % sont récompensées par un prix.