La fabrication des cordes pour les harpes, les guitares ou les ukulélés produit des polluants éternels. Alors que certains musiciens s’inquiètent pour leur santé, les vendeurs se veulent rassurants et plaident pour une exemption de toute réglementation.
PFOAPFOA, PFOS, PFNA ou encore PFHxS : c’est un festival de sigles à vous donner le vertige. Derrière ces quelques lettres qui, pour le commun des mortels, n’évoquent sans doute pas grand-chose, se cache un nom plus familier dont la présence n’a cessé, depuis 2020, de s’accentuer sur la Toile, au gré des polémiques et des enquêtes journalistiques : PFAS (prononcer « pifasse »). Ce dernier renvoie à l’ensemble des produits chimiques per- et polyfluoroalkylés, autrement appelés « polluants éternels ».
Pourquoi ces composés chimiques commercialisés depuis plus d’un demi-siècle font-ils tant parler d’eux ? D’abord parce qu’ils sont partout. Connus pour leurs propriétés imperméabilisantes, anti-adhésives, anti-inflammables ou encore pour leur résistance aux fortes chaleurs ou à la corrosion, on les retrouve dans la plupart des objets qui peuplent notre quotidien : textiles, emballages alimentaires, poêles, produits cosmétiques… et jusque dans les cordes de harpe et de guitare, les gaines de revêtement ou encore les lubrifiants utilisés pour accorder les pianos.
Et leur nombre – 4 700 à ce jour – exige des toxicologues qu’ils réinventent leurs méthodes pour évaluer la toxicité de ces substances, en attendant une réglementation à l’échelle européenne. Se pose en premier la question de la persistance dans l’environnement de tels composés chimiques : « Ces molécules sont très stables, car la liaison entre le fluor et le carbone est elle-même extrêmement stable. C’est pour cela qu’ils sont très résistants », explique Anne-Christine Macherey, toxicologue au sein de l’unité de prévention du risque chimique au CNRS.
« Ils se dégradent très difficilement, précise la chercheuse. Donc ça s’accumule au fil des années. Et plus on en utilise, plus ça s’accumule. Et ça s’infiltre dans l’eau, la terre où poussent les légumes et paissent les animaux, ou encore dans l’air que nous respirons… »
Se pose un deuxième problème : le nombre particulièrement élevé de ces polluants éternels. « À ce jour, 4 700 PFAS sont répertoriés. C’est-à-dire qu’on sait qu’ils existent et qu’on leur a attribué un numéro. Cela ne signifie pas forcément que ces molécules sont commercialisées, ni qu’on a répertorié l’intégralité des PFAS. Certains évaluent leur nombre à plus de 10 000 », explique Anne-Christine Macherey.
Si, depuis une dizaine d’années, les études toxicologiques se multiplient, certaines ont déjà abouti à des réglementations particulières. À ce titre, le PFOA (acide perfluorooctanoïque, essentiellement utilisé dans la fabrication du téflon), interdit à l’import, à l’export et à la production en Europe depuis 2020, vient d’être classé comme cancérogène par le Circ (Centre international de recherche sur le cancer).
Évaluer la toxicité
De même, « on observe, pour certains PFAS, des effets sur le foie, dits hépatotoxiques, chez d’autres des effets sur le métabolisme lipidique, ou encore des effets immunotoxiques, énumère Anne-Christine Macherey. Autant de constats qui poussent les ONG à exiger une réglementation à l’échelle nationale et européenne. Le souci, avec cette famille de molécules, c’est que l’approche habituelle qui consiste à étudier le profil toxicologique d’une substance ne peut être appliquée à 5 000 substances », regrette la toxicologue.
Ne pouvant se plier à une tâche aussi titanesque, les scientifiques envisagent un autre scénario, qu’Anne-Christine Macherey résume en ces termes : « À l’heure actuelle, on ne sait pas grand-chose sur chacun de ces PFAS. En revanche, les risques toxicologiques que l’on a prouvés sur les têtes de pont de ces substances risquent d’être valides sur plein d’autres. Il faut donc développer de nouvelles méthodes pour évaluer la toxicité de cette famille de composés sans tester chaque substance individuellement. Et surtout, il faut drastiquement restreindre leur mise sur le marché. »
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