La ministre de la culture n’a pas mis le monde culturel en ébullition, comme on aurait pu s’y attendre. En mettant la priorité de son action sur la diversité, la figure sarkozyste endosse un rôle à contre-courant, analyse dans sa chronique Michel Guerrin, rédacteur en chef au « Monde ».
Depuis trente jours que Rachida Dati a pris la lumière, cette figure sarkozyste fait l’objet de multiples discussions, pour la cajoler ou la tailler en pièces. Les angles sont riches – sa stature de traître à la droite, son duel avec Anne Hidalgo, ses liens avec l’Azerbaïdjan, le concept de « culture pour tous ». Elle vient d’ajouter deux formules-chocs : le wokisme est une censure ; l’audiovisuel public doit refléter la diversité d’opinions des Français. Pour moins que ça, le monde culturel serait en feu. Là, non. Pourquoi ?
Les médias auxquels Rachida Dati a parlé sont aussi instructifs que ses propos : Le Journal du dimanche le 4 février, puis CNews et Europe 1 le 6. Soit le pôle réactionnaire de Vincent Bolloré. Ce n’est pas anodin quand on sait que sa prédécesseure, Rima Abdul Malak, dénonçait des médias fragilisant la liberté d’expression – qui en retour ont fait d’elle une cible, au point qu’on peut se demander si le patron breton a obtenu sa peau auprès de l’Elysée.
Et puis les interlocuteurs de la ministre, les journalistes Geoffroy Lejeune et Sonia Mabrouk, sont des étendards très droitiers. Leurs questions à la ministre étaient plus qu’une incitation à écharper les milieux culturels subventionnés, accusés d’être très à gauche, alors que l’argent vient de tous les citoyens, et de saper la civilisation occidentale. Ce que Sonia Mabrouk a résumé ainsi : « Les institutions culturelles sont parfois infiltrées par l’idéologie woke. Des œuvres comme Le Lac des cygnes ont été menacées. Des subventions ont été données dans cet objectif. Allez-vous vous y opposer franchement ? »
« Discours de gauche »
Le patron de l’Opéra de Paris, Alexander Neef, a bien déclaré, fin 2020 dans Le Monde, que des ballets de Noureev allaient « sans doute disparaître du répertoire », mais il avait illico rétropédalé, tant la bourde était lourde. Il est vrai, en revanche, que des subventions culturelles ciblent des projets favorisant la parité et la diversité. La ministre, comme si elle voulait faire plaisir à son interlocutrice, a répondu qu’elle avait réuni les directeurs généraux du ministère de la culture afin qu’ils soutiennent « la liberté de création contre ces nouveaux censeurs ».
Comme elle n’a pas donné d’exemple, et pour y voir plus clair, nous avons joint des hauts cadres de son ministère et de lieux prestigieux de la création. Aucun ne se souvient de leur ministre tenant un discours « antiwoke » ou se positionnant sur la censure. Ce qui les marque tous, en revanche, c’est son obsession : comment faire en sorte que des jeunes de milieu modeste se sentent légitimes et suivent telle formation culturelle, accèdent à tel métier, aillent voir telle exposition ? « Elle tient un vrai discours de gauche comme je n’en ai jamais entendu », déclare en riant un vieux briscard qui a vu défiler pas mal de ministres. Un autre ajoute : « Elle nous met la pression sur la diversité des métiers créatifs comme du public. Pas sur le wokisme. »
Ça ne veut pas dire qu’elle va réussir ce pari de la diversité. Le manque de temps ou celui d’argent seront des freins. Mais Rachida Dati se donne une feuille de route qui dissone rudement avec une chasse aux gauchistes de la culture que certains rêvent de la voir mener. Au contraire, un paradoxe se profile : une ministre réac endosse un thème de gauche dont même la gauche se méfie, car il est jugé populiste.
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