Quatre villes françaises, Rouen, Bourges, Clermont-Ferrand et Montpellier, sont en lice pour devenir, en 2028, Capitale européenne de la culture. Qu’en est-il de ce label incertain, conféré dans l’indifférence, ignoré du grand public, faiblement doté, mais pas sans conséquences ni reconnaissance ?
Le 3 mars dernier, Rouen, Bourges, Clermont-Ferrand et Montpellier ont été officiellement présélectionnées pour représenter la France en 2028 dans la course au label Capitale européenne de la culture. Un jury composé de douze membres européens[1] a examiné les neuf dossiers et reçu les villes candidates pour défendre leur projet. Bastia, Saint-Denis, Amiens, Nice et Reims sont désormais sorties de la course, qui se poursuit jusqu’en septembre prochain.
« L’Europe a trois capitales de la culture dont personne n’a entendu parler […]. On parie que vous ne pouvez pas les nommer », ironisait sur son site Slipped Disk le journaliste spécialiste du champ musical, Norman Lebrecht, en décembre dernier, alors que les villes de Timișoara (Roumanie), de Veszprem (Hongrie) et d’Eleusis (Grèce) entamaient leur « mandat » pour l’année 2023.
Il faut reconnaître qu’il reste rare d’entendre dire (ou de se dire) : « Tiens, si j’allais visiter la Capitale européenne de la culture ce week-end ! » Pourtant, l’intérêt pour le label reste bien présent du côté des villes.
« Le label Capitale européenne de la culture représente un fabuleux booster, commente à cet égard Jean-Marc Vayssouze-Faure, président de l’Association des maires de France et maire de Cahors, ville qui s’est associée à la candidature de Clermont-Ferrand. Lille et Marseille s’en souviennent encore. » Paris et Avignon ont également été lauréates depuis la création du dispositif en 1985, mais sont moins souvent citées en exemple.
Depuis cette date, la dotation financière qu’offre le label a augmenté, pour atteindre aujourd’hui 1,5 million d’euros. Une somme malgré tout modeste, quand on sait que le budget de la métropole de Rouen pour la culture représente par exemple 12 millions d’euros[2], et qui n’est versée qu’en cours d’année, sous réserve de la bonne exécution des projets prévus. L’intérêt que les villes trouvent à se lancer dans le processus, parfois décevant, de la candidature, n’est donc pas, a priori, économique.
Catherine Cullen, ancienne adjointe à la culture à la mairie de Lille, aujourd’hui présidente de la scène conventionnée le ScénOgraph, dans le Lot, a constaté directement les effets du label sur le rayonnement de Lille, qui l’a reçu en 2004 : « Par la suite, tous les acteurs du monde de la culture que j’ai pu rencontrer connaissaient Lille pour avoir été Capitale européenne de la culture. Le label a inscrit la ville sur la carte du monde. »
C’est également la motivation de nombre de villes aujourd’hui candidates : « Vous pouvez changer une ville et la façon dont elle est perçue, détaille ainsi Jean-Marc Vayssouze-Faure. Marseille n’était pas forcément perçue comme une ville culturelle auparavant. Ce label est l’un des rares qui permette d’avoir un rayonnement à l’international, avec des événements à un niveau européen. »
L’exception lilloise
La dimension européenne du projet est en effet l’un des critères retenus lors de la sélection. Pourtant, comme le souligne Emmanuel Vinchon, ancien membre de l’équipe de Lille 2004 puis de la candidature de Mons (Belgique), qui a depuis lors offert son conseil à de nombreuses villes, elle reste relative : « Souvent, la réflexion des villes s’arrête au fait de programmer des artistes européens. Mais à Rouen, cette année, il y a eu un travail intéressant mené autour de ce que la Seine a de spécifique, avec l’idée de nouer des partenariats avec des villes européennes situées sur des rivières du même genre. »
Or, même dans le cadre d’une réflexion européenne, celle-ci ne suscite pas nécessairement l’attractivité internationale espérée : « Le label est souvent appréhendé comme un outil de communication qui permettrait d’attirer l’attention de l’Europe sur une ville. Mais le tourisme culturel qui naît dans ces cas-là reste extrêmement réduit, constitué généralement des professionnels de la culture. Il y a des exceptions cependant, et Lille en est une : mais le caractère transfrontalier de la ville a joué », ajoute celui qui a conseillé des villes en Slovaquie, en Roumanie, au Luxembourg et en France.
L’analyse d’Emmanuel Négrier, chercheur en science politique au CNRS, spécialiste des politiques culturelles, et responsable du Centre d’études politiques et sociales à l’université de Montpellier, rejoint ce constat de dynamiques à l’échelle d’abord locale : « Le label doit plutôt être envisagé comme un processus où certaines stratégies, au sein du territoire, deviennent envisageables. »
"Cette candidature est celle de tout le Massif central, soit près de 4 000 communes, bien que Clermont ait un rôle de locomotive."
Jean-Marc Vayssouze-Faure, maire de Cahors
Le bénéfice du label se situerait, en somme, dans l’articulation d’un projet commun, selon Emmanuel Négier : « Le cas de Montpellier est, à cet égard, emblématique. Il s’agit de l’un des territoires où la prise de compétences de la métropole est l’un des plus élevés de France, où la coopération des acteurs demeure faible, avec des relations institutionnelles parfois conflictuelles entre le département et la métropole, mais aussi entre la métropole et les intercommunalités. Le fait que 140 communes coopèrent tout à coup illustre une ère nouvelle de la culture : le fait de réussir à porter un projet culturel au-delà du seul périmètre de la métropole, avec des communes comme Sète, Lunel… »
La coopération territoriale s’est en effet imposée au fil des années comme un levier majeur à la fois dans les candidatures des villes, qui mettent en valeur la mise en réseau des acteurs sur leur territoire, et dans les retombées positives du label sur celui-ci.
Si Lille, en 2004, avait organisé des événements jusque dans deux villes belges frontalières, les candidatures de Montpellier mais aussi de Clermont-Ferrand ont aujourd’hui mis l’accent sur une réflexion à l’échelle régionale : « Cette candidature est celle de tout le Massif central, soit près de 4 000 communes, bien que Clermont ait un rôle de locomotive, affirme Jean-Marc Vayssouze-Faure. Le territoire est pour partie urbain, mais possède aussi une zone très rurale. »
Les ambitions décriées de Christian Estrosi
Un projet qui doit donc faire l’objet d’une forme de co-construction, au-delà des grands acteurs métropolitains mais aussi avec les citoyennes et citoyens qui y sont impliqués. En témoignent notamment les réticences des musicien·nes de l’Orchestre philharmonique de Nice, qui décriaient cet hiver les ambitions du maire Christian Estrosi (notamment l’obtention du label Opéra national pour la maison niçoise) dans le cadre de la candidature au label Capitale européenne de la culture, au détriment de la réalité des conditions de travail et de salaire des artistes : « Il y a un manque de moyens terribles, financiers et humains. Les gens sont aujourd’hui en souffrance », déplorait Violaine Darmon, violon solo et représentante syndicale de l’orchestre.
« À cet égard, même une candidature en échec aura produit quelque chose sur le plan coopératif qui ne sera pas totalement réversible », évoque Emmanuel Négrier. À Bastia, ville candidate qui n’a pas passé les présélections, c’était déjà le sentiment de la directrice du conservatoire de Corse, Jennifer Gamet-Rossi, alors que nous l’interrogions au mois de janvier : « La candidature a créé une dynamique : des ateliers ont été organisés, les acteurs culturels se sont rencontrés, ce qui a généré des envies, des idées… Bastia a pris la décision de mener tous les projets à bien, même si elle n’était pas retenue. » La construction d’un nouveau conservatoire avait notamment été intégrée dans les projets et dans la réflexion menée par la ville.
Faut-il en conclure que les villes ont tout intérêt à candidater au label ? « Une candidature encourt toujours le risque de...
Lire la suite sur mediapart.fr